Platon – L’art est une illusion (les trois lits)

Platon
Πλάτων 

  • La République : dans son Livre X, Platon parle du bannissement de la poésie et de l‘immortalité de l’âme. Dans cette partie de l’œuvre (595a-608c), Platon exprime l’idée que la poésie doit être condamnée, car elle est une imitation d’une autre imitation. Exprimant une théorie générale de l’imitation, Platon passe par l’exemple des 3 lits : le lit en soi (Idée), celui de l’artisan (imitation), et celui du peintre (imitation de l’imitation).

« Socrate – Prends un miroir et présente-le de tous côtés ; en moins de rien, tu feras le soleil et tous les astres du ciel, la terre, toi-même, les ouvrages de l’art, et tout ce que nous avons dit. 

Glaucon – Oui, je ferai tout cela en apparence, mais il n’y a rien de réel, rien qui existe véritablement.

Socrate – Fort bien. Tu entres parfaitement dans ma pensée. Le peintre est apparemment un ouvrier de cette espèce, n’est-ce pas ?

Glaucon – Sans doute.

Socrate – Tu me diras peut-être qu’il n’y a rien de réel en tout ce qu’il fait ; cependant le peintre fait aussi un lit en quelque façon.

Glaucon – Oui, l’apparence d’un lit.

[…]

Socrate – Il y a donc trois espèces de lit ; l’une qui est dans la nature, et dont nous pouvons dire, ce me semble, que Dieu est l’auteur ; auquel autre, en effet, pourrait-on l’attribuer ?

Glaucon – A nul autre

Socrate – Le lit du menuisier en est une aussi

Glaucon – Oui

Socrate – Et celui du peintre en est encore une autre, n’est-ce pas ?

Glaucon – Oui

Socrate – Ainsi le peintre, le menuisier, Dieu, sont les trois ouvriers qui président à la façon de ces trois espèces de lit. […]

Donnerons-nous à Dieu le titre de producteur de lit, ou quelqu’autre semblable ? Qu’en penses-tu ?

Glaucon – Le titre lui appartient, d’autant plus qu’il a fait de lui-même et l’essence du lit, et celle de toutes les autres choses.

Socrate – Et le menuisier, comment l’appellerons-nous ? L’ouvrier du lit, sans doute ?

Glaucon – Oui

Socrate – A l’égard du peintre, dirons-nous aussi qu’il en est l’ouvrier ou le producteur ? 

Glaucon – Nullement

Socrate – Qu’est-il donc par rapport au lit ?

Glaucon – Le seul nom qu’on puisse lui donner avec le plus de raison, est celui d’imitateur de la chose dont ceux-là sont ouvriers. 

[…]

Socrate – Le peintre se propose-t-il pour objet de son imitation ce qui, dans la nature, est en chaque espèce, ou plutôt ne travaille-t-il pas d’après les oeuvres de l’art ? 

Glaucon – Il imite les œuvres de l’art.

Socrate – Tels qu’ils sont, ou tels qu’ils paraissent ? Explique moi encore ce point.

Glaucon – Que veux-tu dire ?

Socrate – Le voici. Un lit n’est pas toujours le même lit, selon qu’on le regarde directement ou de biais ou de toute autre manière ? Mais quoiqu’il soit le même en soi, ne paraît-il pas différent de lui-même ? J’en dis autant de toute autre chose.

Glaucon – L’apparence est différente, quoique l’objet soit le même.

Socrate – Pense maintenant à ce que je vais dire ; quel est l’objet de la peinture ? Est-ce de représenter ce qui est tel, ou ce qui paraît, tel qu’il paraît ? Est-elle l’imitation de l’apparence, ou de la réalité ?

Glaucon – De l’apparence.

Socrate – L’art d’imiter est donc bien éloigné du vrai ; et la raison pour laquelle il fait tant de choses, c’est qu’il ne prend qu’une petite partie de chacune ; encore ce qu’il en prend n’est-il qu’un fantôme. Le peintre, par exemple, nous représentera un cordonnier, un charpentier, ou tout autre artisan, sans avoir aucune connaissance de leur métier ; mais cela ne l’empêchera pas, s’il est bon peintre, de faire illusion aux enfants et aux ignorants, en leur montrant du doigt un charpentier qu’il aura peint, de sorte qu’ils prendront l’imitation pour la vérité. 

Glaucon – Assurément.

Socrate – Ainsi, mon cher ami, devons-nous l’entendre de tous ceux qui font comme ce peintre. Lorsque quelqu’un viendra nous dire qu’il a trouvé un homme qui sait tous les métiers, qui réunit à lui seul, dans un degré éminent, toutes les connaissances qui sont partagées entre les autres hommes, il faut lui répondre qu’il est dupe apparemment de quelque magicien et de quelque imitateur qu’il a pris pour le plus habile des hommes, faute de pouvoir lui-même distinguer la science, l’ignorance et l’imitation. »

PlatonLa République, Livre X, 595-598d, trad. V. Cousin, 1822.


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